dimanche 15 mars 2009

Volker Kriegel & the Groove-Combination



Pour la première fois et afin de satisfaire les plus exigeants, nous partageons un album plutôt qu'un single. Mais soyez sans crainte, le deep est toujours au rendez-vous ! Pour vous servir, nous vous proposons une référence oubliée de l'excellent Volker Kriegel, celui que les Allemands aiment appeler "le Père du jazz-rock".
Sont-ils chauvins, quand même... Et Larry Coryell ? Et Tony Williams ? Enfin bref.
Artiste talentueux et autodidacte, la carrière de ce guitariste a décollé en 1963 à l'occasion d'un festival amateur, et s'est poursuivie sans temps mort pendant les vingt années suivantes. Après avoir joué quelque temps en compagnie des frères Mangelsdorff, Volker Kriegel a rejoint la formation du vibraphoniste américain Dave Pike après que celui-ci s'est installé en Europe vers 1967. L'association de ces deux pointures a engendré l'une des plus fructueuses collaborations en matière de jazz fusion. Au bout de six ans et autant d'albums, Dave Pike retournant ensuite aux Etats-Unis, Volker Kriegel devient totalement maître de ses projets musicaux. En 1973, il enregistre Lift!, son troisième album pour MPS en tant que leader, marquant un tournant dans la discographie du guitariste : (presque) finies les escapades psych' ou extrême-orientales à base de sitar ou de tarang, désormais Kriegel axera progressivement ses inspirations vers plus de jazz et de groove (chic alors !), accompagné du Mild Maniac Orchestra et dans le cadre du projet United Jazz Rock Ensemble.
Chronologiquement, la discographie officielle de Volker Kriegel enchaîne sur l’album Mild Maniac, en 1974. Peu après, au printemps 1975, notre homme rencontre le contrebassiste Hans-Peter Ströer : c'est le début d'une belle entente entre les deux protagonistes qui, en complément des sessions chez MPS, enregistrent ensemble à plusieurs reprises pour le petit label Biton situé à Frankfurt. Très peu d’informations circulent au sujet de cette discrète enseigne spécialisée dans l’illustration sonore et affiliée au label Bellaphon, c’est pourquoi le disque que nous présentons demeure relativement obscur, exploitant un genre relativement minoritaire dans la library européenne contemporaine : le jazz-funk.
A l'époque, on parlait de rythmique moderne... A vrai dire, ce registre était plus l’apanage des big bands (Daniel Janin, Peter Thomas, Ambros Seelos...) que des petites formations, en dépit d’exceptions notables (Jacky Giordano, Geoff Bastow…). Entendons-nous bien : nous parlons de musique mêlant à la fois jazz (pour les improvisations inspirées) et funk (pour les rythmiques syncopées, inventives ET carrées – très important !) et pas de rare groove (encore moins d'un quelconque hybride dansable tournant sur trois notes). Nous excluons donc à la fois les compositeurs touche-à-tout hautement révérés tels Alan Parker, John Cameron, Janko Nilovic... qui ont souvent œuvré en orchestre, et les plus laborieux dont les noms seront tus, par pudeur.
Comme sur la plupart des disques de library, le line-up n'est pas précisé. Cependant, à la lecture des crédits, on peut raisonnablement supposer que le Mild Maniac Orchestra était impliqué, au moins pour partie : le bassiste Hans Peter Ströer déjà nommé et le pianiste Rainer Brüninghaus (accompagnateur de Jan Garbarek) signent à eux deux quatre des quatorze compositions. La formation retenue pour l'enregistrement de ce disque est un quintet guitare-claviers-basse-batterie-percussions sur les six premiers titres, avec l'adjonction d'une flûte sur les suivants. Au fil de l'album s’installe une atmosphère tantôt vive et enjouée, tantôt amicale et relaxante. Les musiciens varient les tempos et les ambiances tout en maintenant cette impression de plénitude décontractée qu'on ne décèle que chez les artistes véritablement maîtres de leur sujet, ce qui est définitivement le cas de Volker Kriegel et ses compagnons. Le groove est presque omniprésent sur ce disque aux compositions profondément originales interprétées avec une finesse et une maestria sensationnelles, qui ne surprendront cependant pas les fans de Kriegel période MPS, élevés à bonne école. A contrario, c’est la brièveté des compositions qui tranche avec les autres travaux du guitariste, grand habitué des morceaux à rallonge laissant la part belle aux chorus. Il faut néanmoins rappeler que le maître mot d’une séance d’enregistrement, a fortiori sur commande, demeure l’efficacité... CQFD. A ce titre, saluons celle de "Mouse-Funk" et "Madison Bold", ce dernier titre démarrant par un break imparable qui ne manquera pas d'être pillé par tous les beatmakers qui tomberont dessus. Relevons également le lyrisme admirable de "Soft Thunder" et "In your Face", les touches de fuzz bienvenues sur "Outline" et "Soul Zebra", la touche psych'-prog' envoûtante de "Palm Dreams" ou le feeling classieux des quatre morceaux latinisants. L'impression de qualité globale (Deutsche Qualität ?!?) est indéniable ! En tout cas, les fans de Kriegel ne sont pas dépaysés, il faut dire que plusieurs morceaux de cette session apparaissent sur des albums MPS, commerciaux donc. "Schnellhörspiel" figurant sur l’album Mild Maniac de 1974 possède la même touche groovy que les perles précitées, et l'album de 1977 « Octember Variations » du Mild Maniac propose des... variations des titres "Mouse-Funk" et "Palm Dreams". On reconnaît même des phrases extraites de "So Long, for Now", deuxième morceau de l'album « Spectrum » de 1971...
Les premières sorties du label Biton semblent bien dater de 1976, mais les sessions d'enregistrement ont tout à fait pu se dérouler plus tôt. La discographie de ce website fait mention d'opus ultérieurs également affiliés aux productions Biton. Cette formation figure également sur la première et immédiatement précédente parution du label, un split LP coécrit avec l'Orchester Guy Carondel dont la qualité est en tous points semblable : nous apprécierions à sa juste valeur qu'un lecteur bienveillant propose un rip en partage.
Quoi qu'il en soit, le plaisir d'écoute est indiscutable, l'équilibre du groupe est absolument remarquable et la prometteuse dénomination « Volker Kriegel & the Groove-Combination » apparaît totalement justifiée. Terminons en signalant qu'en dépit d'un rayonnement particulièrement limité, le petit label Biton a toujours offert aux artistes des conditions d'enregistrement idéales. La comparaison avec bon nombre d'autres micro-labels de library présents à l'époque (particulièrement français ou italiens), est largement à l'avantage de nos voisins Germains, ce qui n'est pas particulièrement étonnant puisque les Allemands ont toujours été réputés pour leur sérieux et leur totale maîtrise dans la conception et l'emploi des appareils électroacoustiques. Ce disque de Volker Kriegel & the Groove-Combination en est la parfaite illustration (sic!) et figure à coup sûr dans le top zehn des meilleurs albums de library en provenance d'outre-Rhin.

dimanche 1 mars 2009

Primates ¤ Racines / Fouettez les Filles


Primates est le nom d'une formation éphémère qui a tout de même laissé un témoignage discographique matérialisé par ce 45 tours autoproduit (P.A.I. = Publications Artistiques Indépendantes). Formé à Champagnole (Jura), le groupe a existé du printemps 1981 à l'automne 1982. L'instigateur est le bassiste et chanteur Gilles Poussin, principal responsable du répertoire avec le guitariste Jano. A leurs côtés figurent Thierry au saxophone et Christophe à la batterie. Enregistré sur un huit pistes début 82, le single a été pressé par F.L.V.M. (Faites-Le Vous-Même = esprit DIY requis, genre), une structure créée pour aider les petits groupes par Jean-Marc Bailleux, journaliste "prog rock" de Rock&Folk. Le son obtenu, plutôt merdique, est absolument typique des productions indés françaises, ne serait-ce que par la réverb d'ensemble ou la prise de son du saxophone, pouvant faire penser à Chute Libre en (vraiment) plus roots. Le style Primates est aux frontières du rock, du groove pas cher et du concert de garage... mais travaillé. Jetez un œil aux paroles si vous n'avez pas saisi la posture du groupe à la seule contemplation de la pochette... Celles du premier morceau "Racines" ne veulent pas dire grand-chose, mais c'est bien sûr dans la face B que réside l'intérêt de ce disque, avec l'excellent "Fouettez les Filles". Passez-le entre un Yellow Hand et un James Chance, vous serez surpris du résultat… La musique est attrayante et les paroles assez savoureuses, ce qui fait que vous en retiendrez la teneur rigolarde plutôt que le fond légèrement phallocrate, pour peu que vous ayez le sens de l'humour... de toute façon dans le genre il y a eu bien pire (cf Costes). Malgré plusieurs concerts (Nantes, Genève, Lyon...) et un succès d'estime certain (chronique enthousiaste de Laurent Chalumeau dans Rock&Folk), Primates n'a pas fait long feu. La faute en revient aux conflits d'ego, l'une des trois causes classiques de clash dans un groupe avec les copines et la came. Dommage, le groupe était prêt à enregistrer un maxi chez Virgin (avec Mondino ok pour réaliser la pochette) et de se produire aux Transmusicales 82...

Allez fouette !

PS : la BD Ketchup Boy de Gilles Poussin et Guillaume Berteloot est en partie inspirée de l'aventure.