mardi 15 janvier 2008

Umbañ et WAC ¤ Tuty La Ma Nan / Abel Jassy - Soxna's Tut


Poursuivons dans notre présentation de singles rares (sinon plus...) printed in France avec l'unique disque paru sous le nom d'UMBAÑ ET WAC, en 1975. Autant le dire tout de suite : c'est une pépite.
Commençons par "WAC" qui n'est autre que le sigle de West African Cosmos... cela vous dit certainement quelque chose, non ? En effet, un sublime album éponyme est paru sur CBS en 1976 dans la collection Marginal, faisant suite au 45 tours dont ce post est l'objet ; le nom a changé mais la formation (et l'esprit) demeurent.
L'unique (et mythique) LP de West African Cosmos, comprenant six nouvelles compositions, s'est péniblement écoulé à 3000 exemplaires, malgré deux pressages et le large réseau de distribution de CBS. On en retiendra surtout l'excellent morceau "Emeraude", compilé notamment par les Djs Spider & Philgood sur le défunt label rhodanien Plein Gaz.
Plutôt connu en tant qu'acteur, Umbañ U'kset est l'identité artistique adoptée par Manuel Gomez, qui n'est autre que le tout premier chanteur du Star Band de Dakar. L'année suivante, en 1974, il coécrit avec Mickey Baker la musique du documentaire "Muhammad Ali the Greatest" de William Klein, avant que le projet West African Cosmos ne décolle vraiment. Sur celui-ci, il est accompagné de son compatriote Wasis Diop, dont le nom apparaît sous différentes orthographes au cours de sa carrière : ainsi, sur le disque "Umbañ et WAC", c'est sous le pseudonyme d'Oazis qu'il est crédité, à la guitare. La troisième tête pensante de WAC n'est autre qu'Alain Ehrlich, ancien groupie (sic) de Gong, membre de Crium Delirium, partenaire d'Alan Jack [Civilization]Ariel Kalma ou encore Antoine Tomé, et surtout futur acteur de la pléthorique scène afro hexagonale (qui connaîtra son apogée à la fin des années 80), après sa rencontre avec Ismaïla, co-fondateur de Toure Kunda. Se découvrant alors une passion mordante pour les musiques du monde, Ehrlich finit par s'y consacrer exclusivement, au point de lâcher Jacques Higelin en plein enregistrement (!) pour embarquer dans le vaisseau WAC, où il prend le surnom de "Loy" signifiant "l'Oiseau de Nuit" en wolof.
Umbañ, Wasis, Loy : ces trois esthètes constituent le cerveau du groupe, mais citons également les autres musiciens figurant sur cet opus : Akonio aux percussions, Ayib Gaye à la basse et son cousin Ayib Dieng à la batterie (co-auteur de l'album "Rythmes Africains" sur le label de library Auvidis et qu'on retrouvera quelques années plus tard aux Etats-Unis pour des sessions jazz, aux côtés de Bob Moses par exemple). En 1975, après avoir croisé Jean-Marie Ferrant et son compère André Harwood, alors jeune ingénieur du son, ce sextet se retrouve en studio pour une session d'anthologie...


La face A de ce 45t nous offre "Tuty La Ma Nan", une ballade envoûtante qui préfigure le morceau "Emeraude" cité plus haut, en plus laid-back mais tout aussi groovy. Un riff de basse épuré et hypnotique entame cette composition, bientôt complété par la guitare de Diop en écho. Détail somptueux, de légers et mélodieux chants de passereaux ouatent cette introduction avec délicatesse... Une fois ce décor posé, Umbañ se lance dans des vocalises caractéristiques, à mi-chemin entre chant et incantations. Quelques phrases de piano Rhodes lui répondent, alternant avec des breaks de la basse en forme de stop-chorus, réalisant un parallèle intéressant avec les ambiances de la scène spiritual jazz qui s'épanouissait alors de l'autre côté de l'Atlantique.
L'ambiance change sur la face B avec non pas un, mais deux morceaux plus énergiques (eh oui ce disque est un 45t trois titres). "Abel Jassy" met là encore en valeur le chant si particulier d'Umbañ, mais cette fois-ci sur un tempo ternaire. Les percussions, marquant aussi bien les temps que les contretemps, rendent cette composition extrêmement attachante, tout en renforçant le côté trad. Le Rhodes et surtout la guitare fuzz parachèvent habilement ce morceau dédié au religieux Abel Jassy.
Le groove s'accentue avec "Soxna's Tut" qui démarre par un terrible break du batteur Ayib Dieng. Cette introduction se poursuit par l'arrivée successive de tous les instruments, avec la basse en point d'orgue. En contrepoint du chant toujours inspiré d'Umbañ, Loy nous gratifie d'un discret et somptueux chorus de Rhodes du début à la fin de cette magnifique composition, dans laquelle les percussions demeurent elles aussi remarquables dans leurs interventions.
Au final, ce 45t très rare et méconnu nous propose douze minutes d'une musique délectable et sans équivalent, et participe sans contestation possible de la légende des disques de musiques africaines enregistrés dans l'hexagone.

Terminons en précisant que ce disque d'Umbañ et WAC est la deuxième (seconde ?) sortie de l'éphémère label Spleen Record (la première, dispensable malheureusement, étant signée Billy Zere) créé par Jean-Marie Ferrant, qui possédait la boutique de disques "Banana La Cok" à Poitiers dans les années 70. Umbañ et Jean-Mary Ferrant (sic) sont crédités à la production, et le mixage a été effectué au studio de la Grande Armée par André Harwood.
Près de quarante années plus tard, il n'est pas aisé de dénouer toute cette affaire. Les versions diffèrent en ce qui concerne le lieu d'enregistrement, qui semble bien être le château d'Hérouville, mais dans une salle initialement dédiée aux répétitions (voir les commentaires de ce post) et non dans le grand studio.
En tout cas, cette parution est bien plus rare que l'album (!), ce qui devrait vivement vous inciter à considérer ce véritable ovni avec tout le respect qu'il mérite...



Les travaux pratiques : wacp://www76.zippyshare.com/v/N7Gxp25b/file.html

Last but not least : Wasis Diop a sorti un album sur PIAS en 2008 (allez donc visiter son website) tandis qu'Alain "Loy" Ehrlich a plusieurs projets en cours, toujours axés sur les musiques africaines, dont le fameux projet Hadouk initié dans les années 90. Il a la bonne idée d'avoir une page myspace. Umbañ U'kset apparaît de temps en temps dans des séries TV, lui qui a quelques apparitions filmographiques "prestigieuses" à son actif comme "Descente aux Enfers" avec Sophie Marceau et Claude Brasseur ou encore "Cause Toujours Tu M'Intéresses" avec Annie Girardot et Jean-Pierre Marielle.
Et outre Alain Ehrlich et André Harwood, nous remercions chaleureusement Jean-Marie Ferrant pour les informations fournies, ce qui a permis de rendre cet article plus clair et surtout plus complet. Merci surtout pour ces magnifiques tirages photo (pris par Claire Léger) provenant des archives de Jean-Marie Ferrant, et bien évidemment inédits à ce jour.